Elle sentit, davantage qu'elle ne les vit, ses deux parents accepter la décision. Comment ces deux adultes d'une violence exceptionnelle, d'une rage quotidienne, comment ces deux adultes perclus de douleurs et dépressions, comment pouvaient-ils ignorer qu'elle était simplement leur fille. Comment pouvaient-ils la laisser ici, entre les mains de n'importe qui. Internée. Enfermée. Bouclée.
Virginie Despentes.
L'HP, lui il connait. Il y a des champs et des fleurs entre cet univers fermé, à part, et moi. Il n'en parle presque jamais. Vivre dans le passé, c'est pas son truc. Mon grand-père ne parlait pas de la guerre lui non plus..
L'HP, la guerre, la prison.. Des expériences symboles. Symboles parce que je ne les ai pas vécu. Symbole d'une violence injustifiée. Je ne peux pas m'empêcher de vomir sur ce que je pense être de l'injustice. Quoi de plus injuste que de voir sa vie, sa santé, son bonheur en fait, entre d'autres mains que les siennes, ne pouvoir rien y faire, ne pas savoir combien de temps ça va durer? Se sentir dégradé à ce point, ça me débecte. L'injustice, l'abus de ceux à qui "on" a fourgué un quelconque pouvoir de rendre justice, c'est grave. C'est grave parce que ça détruit, ça ferme un endroit là-dedans où il devrait encore y avoir du flux.
Le pouvoir dans notre monde d'humains c'est franchement crade.
Avant, on enfermait bien les épileptiques, on brûlait aussi les porteurs d'avis différents. Tout cela pour protèger l'Ordre. L'Ordre si durement établi. Tout cela "pour le plus grand bien". Le problème, c'est que "on" n'est pas très intelligent pour décider comme ça, en gros. No cas par cas. Alors sois semblable et tais-toi. Sinon tu gênes. Tu nous empêches d'être heureux, tu nous empêches de baigner dans un soi-disant bonheur. Alors tu serras écarté, kidnapé, caché.. Ou au contraire tu serviras de valeur d'exemple, comme lorsqu'on pendait sur la place publique.
Ma colère monte au fur et à mesure que les connexions se font. Ma propre violence justifiée.
La colère. Une putain de puissance. Je l'admire comme on admirait un ouragan ou un éclair d'été: de loin. Je crains sa force de déstruction. Pourtant je suis plutôt amusée qu'on en use! Lancer des éclairs, c'est vraiment le pied sur le coup, ça impressionne. Une réaction logique à une agression. Agressé par la connerie en face, ennuyé par un comportement ou une situation qui pue franchement, éclairs.
Pourtant la colère nous change en merde. Comme un putain de mauvais sort. Parce que la personne qui en use se sent comme une merde, la personne qui s'est pris l'éclair en pleine tronche se sent comme une merde.. Après-coup.
Etrange comme l'agresseur peut devenir soudain victime. Quelqu'un qu'on avait vraiment pas envie de piétiner en hurlant, en fait.
Parfois, ça se passe autrement: c'est l'implosion. Une autre histoire. Plus vicieuse parce que rien en apparence, l'eau qui dort. Et l'apparence, c'est tout ce qui nous importe.. Comme on se plante ! La sensation d'être une sous-merde reste planquée, comme un cafard sous l'évier. On ne fait pas le lien, mais elle ressort. En traître.